mardi 24 juin 2014

Coups de coeur de l'été : Bouyx, Le Clézio, Pujade-Renaud

Parmi les dizaines de recueils publiés ces derniers mois, HARFANG a beaucoup lu et a sélectionné pour vous 3 recueils qui vous dépayseront - où que vous soyez : au milieu de la foule colorée sur une plage, dans la solitude d'un chalet de montagne, au plus creux d'un chemin d'une campagne verdoyante... ou dans la chaleur moite d'une ville vidée de ses habitants... - et qui vous feront voyager, dans le temps et dans l'espace... de la Chine à la Corée en passant par Trieste !
Bon été... et bonnes lectures !
 
Villes Chinoises, Virginie Bouyx, Gallimard, 224 pages
Après un premier recueil prometteur et remarqué, Les fleuristes (lire Harfang N°42), V. Bouyx offre au lecteur un recueil de onze nouvelles qui se situent dans onze villes chinoises (de Pékin à Suzhou et de Shanghai à Hangzhou…) et dont l’action se déroule sur une année, en liaison avec les saisons et les fêtes du calendrier chinois. Au-delà de la description d’une Chine moderne et urbaine (que l’auteur connait pour y avoir vécu et travaillé), chaque nouvelle raconte la vie quotidienne d’employés exilés, français pour la plupart, mais aussi russe, canadien, américain, allemand… On les voit se démener dans le petit cercle des entreprises où ils travaillent avec leurs problèmes, leurs conflits, leurs désillusions et dans le petit cercle des amis qui se croisent, se quittent et se retrouvent.

Chacun, à un moment dans son parcours, se retrouve isolé dans un pays dont il ne maîtrise parfaitement ni la langue ni la culture ni les codes sociaux… Coupé de la famille et souvent aussi des amis, notamment au moment des fêtes (qu’il s’agisse du Nouvel An Chinois ou du Nouvel An occidental), l’un se perd dans la nostalgie, un autre  a quelque velléité de retour au pays. Bruno, qui  vit dans la hantise de l’épidémie de grippe aviaire, de la pollution, pense démissionner. Clyde, l’écossais, ancien professeur devenu guide, va même jusqu’à penser au suicide. Thierry, quant à lui, sombre dans l’alcool et un jour de fête nationale chinoise part dans une station balnéaire  à la recherche d’une certaine Siying, qui n’existe que dans son imagination ! Paradoxalement, chacun reste étranger sans pour autant être vraiment dépaysé et aucun ne semble pouvoir partir. Autant de réflexions sur la solitude, sur l’exil  et sur ces forces contradictoires qui agissent en chacun : l’une centrifuge qui pousserait à fuir et à rentrer au pays, l’autre centripète qui vous ramène constamment au centre des grandes villes (qui bientôt se ressemblent toutes).

Onze nouvelles, comme autant d’instantanés sur la Chine d’aujourd’hui qui ne sont en rien des clichés… car si cela se passe en Chine, cela pourrait tout aussi bien se passer ailleurs. Onze nouvelles qui composent un recueil d’une grande unité, très agréable à lire, qui est construit un peu comme une exposition photographique mêlant habilement une galerie de portraits d’expatriés et un reportage sur la vie quotidienne dans les grandes villes chinoises d’aujourd’hui.
 
Tempête (Deux novellas), J. M. G. Le Clezio, Gallimard, 240 p.
 
 Voici donc un recueil composé de deux « novellas » *, deux volets d’un diptyque, commençant et se terminant sur fond de mer qui, loin d’être un simple décor, joue ici le rôle de miroir et de révélateur.
En amont de ces deux histoires racontées par Le Clézio, le viol, la guerre, la violence sont comme une tache originelle qui marque chacun des personnages dont la vie sera une succession de combats et de tempêtes. Tempêtes en des eaux violentes et ambivalentes où l’on peut se noyer mais aussi se régénérer.
Ainsi quand Philip Kyo revient sur l’île coréenne d’Udo trente ans après y avoir séjourné en compagnie de Mary, il a déjà essuyé quelques tempêtes. C’est là qu’il a rencontré Mary, chanteuse de bues, dont le père était un GI qui a disparu après avoir violé sa mère…. et c’est là que Mary s’est noyée. C’est là aussi qu’après quelques années de prison, il a essayé d’oublier son passé de photographe, condamné pour n’avoir pas porté secours à une jeune fille violée par quatre soldats à Hué, pendant la guerre du Vietnam. Mais il va rencontrer June, 13 ans, dont la mère est une des « femmes de la mer » qui chaque jour plonge pour pêcher les ormeaux et dont le père est inconnu, soldat qui a disparu dès l’annonce de la grossesse.

Entre l’homme de 58 ans et la fillette de 13 ans, une amitié nait, chacun révélant peu à peu à l’autre des vérités essentielles. Au contact de la mer et de June, Philip oublie son passé et n’a « plus envie de mourir, il est libre » et il repart sans laisser d’adresse… De son côté, June croit avoir trouvé « sa vérité » en plongeant dans la mer : elle sera sauvée de justesse d’une noyade et quittera définitivement l’île avec sa mère.
Chaque « novella » étant un peu le miroir de l’autre, la seconde intitulée « Une femme sans identité » se présente comme le deuxième volet du diptyque.
Rachel, née d’un viol, abandonnée par sa mère est recueillie par son père qui vit près de la plage de Tokoradi au Ghana avec une nouvelle femme et leur fille, Bibi ou Abigaïl. Faillite du père et état de guerre les contraignent à venir en France.  Arrivée en banlieue parisienne, Rachel apprend rapidement qu’il lui faut « oublier le passé ».  Cette Cendrillon africaine est rejetée par tous, sa belle-mère, son père et même sa sœur qu’elle essaie pourtant de défendre et de protéger, mais qui sera à son tour victime d’un viol. Rejetée, sans papier, sans identité, déçue par cette France « civilisée, où sa petite sœur Bibi a été violée », au moment même où sa mère biologique cherche à la rencontrer… Rachel sombre et a même quelque velléité de meurtre ! Finalement, après ces années d’exil, elle retournera en Afrique en tant qu’assistante volontaire de « médecins du monde » et commencera une « autre vie » près de la plage qui l’a vue naître.

Avec June l’Asiatique et Rachel l’Africaine, Le Clézio poursuit ainsi ses portraits de femmes, constituant désormais une véritable galerie. Femmes victimes de violences et d’injustices : ici femmes violées qui rappellent,  Christine, violée dans les caves du quartier de l’« Ariane » à Nice (La Ronde, 1982). Femmes solitaires et fortes qui se libèrent et reprennent leur destin en main : rappelons nous Ujine dans L’histoire du pied (2012)…
De livre en livre, roman ou nouvelle, Le Clézio continue de raconter des histoires d’aujourd’hui. Des histoires qui semblent simples, sans manichéisme, sans leçon de morale. Des histoires universelles qui nous concernent toutes et tous, qu’elles se passent en France, en Afrique, en Asie ou ailleurs.
 Joël Glaziou
 
 
* Si le terme de « novellas » est employé ici en sous-titre pour la première fois par Le Clézio, remarquons que ce dernier a déjà utilisé plusieurs fois le format de la longue nouvelle (entre autres dans  Hasard suivi d’Angoli Mala en 1999) et qu’à chacun de ses recueils parus depuis 40 ans a été accolée une étiquette différente : histoires, fictions, faits divers, romances… sans doute pour rappeler que la  notion de genre n’est pas pour lui prioritaire.
 
 
 Rire en do mineur, Claude Pujade-Renaud, Actes Sud, 112 pages
 
 
 Voici huit nouvelles qui plongent au cœur de la création artistique (littéraire, musicale, picturale…) et qui font voyager le lecteur dans le temps et dans l’espace, dans le réel comme dans l’imaginaire. Huit nouvelles qu’un grain de folie traverse comme huit fantaisies sur les créateurs, leurs créations et leurs créatures.
Fantaisie, dès la première nouvelle intitulée « De fol en fol », où l’on croise Rossinante quittant l’Espagne de Don Quichotte et de Cervantès pour se retrouver en France avec Jacques le Fataliste et son Maître, puis sur le champ de bataille de Waterloo et enfin sur une place de Turin où un certain Friedrich Nietzsche le protège d’un cocher qui le frappe ! Fantaisie qui montre que « le cheval en sait davantage sur les héros que les héros eux-mêmes » comme le rappelle la citation d’Adorno mise en exergue.

Fantaisie aussi quand le hasard fait qu’à Trieste, on croise Stendhal, tout nouveau Consul, qui vient d’écrire son « Julien » et qui oscille « entre le rouge et le noir », puis Nora qui nous parle de la vie difficile qu’elle mène avec Joyce en train d’écrire son  « Ulysse » (s’il n’écrit pas « il risque de devenir encore plus fou »), et enfin le peintre Egon Schiele et sa jeune sœur Gerti qui viennent hanter la ville où leurs parents se sont aimés avant la « Sypholie » !
Fantaisie encore au sens musical du terme quand on voit Mozart à Salzburg « rire en do mineur » et composer en quelques jours son Concerto N° 9 pour une jeune pianiste aveugle.
Fantaisie enfin quand elle revisite les mythes. Ainsi « Une histoire de pied » raconte l’histoire d’Œdipe en faisant parler Mérope de Corinthe, la mère qui l’a élevé. Et « La traversée » propose une version moderne d’Orphée et Eurydice rebaptisés Olivier et Emmanuelle !

C. Pujade-Renaud montre ainsi qu’on n’en a jamais fini avec les histoires que l’on croit connaître et que la création littéraire est infinie, que les références mythologiques et artistiques comme autant de clins d’œil de connivence qui multiplient le plaisir du lecteur.
Joël Glaziou

 
 
 

lundi 16 juin 2014

PRIX DE LA NOUVELLE D'ANGERS 2014 : 6 recueils finalistes !



Depuis plus de trois mois, cinq groupes de lecteurs ont lu, discuté, échangé. Quantité et qualité étant au rendez-vous de cette cinquième édition, les débats n’en ont été que plus intéressants. Au cours de plusieurs réunions, 45 recueils ont d’abord été « nominés », puis 15 ont été « pré-sélectionnés » et enfin, après moult filtrages successifs et triages sélectifs, 6 recueils finalistes ont été retenus ! 



La « bonne nouvelle » a été aussitôt annoncée aux auteurs qui sont d’ores et déjà assuré(e)s de voir une nouvelle extraite de leur recueil publiée dans le prochain numéro d’Harfang (N° 45 à paraître le 20 novembre, jour de la remise du Prix 2014 et en prime, un entretien avec le (ou la) lauréat(e) !).
 
L’un d’entre eux a même qualifié cette nouvelle de « royale » ! Alors reprenons la formule pour préciser qu’avant le couronnement, il y a trois reines et trois rois… C’est encore trop quand on sait que la règle impose qu’il n’en reste qu’un(e) ! (Pour les amateurs de statistiques, précisons que sur 255 participations, 52 % étaient féminines et 48 % masculines).
 

Cette tâche incombe au jury final (qui sera composé de 25 personnes : lecteurs et lectrices des jurys de sélection, auteurs, bibliothécaires, éditeur, libraire… et lauréate du Prix 2012 !) qui aura de la lecture pour l’été et qui fera son choix avant le 15 septembre.

Patience donc d’ici là… et merci aux 249 nouvellistes qui n’ont en rien démérité et qui ont permis par leur participation d’accroître la notoriété du Prix de la Nouvelle d’Angers.

(à suivre)