dimanche 11 janvier 2015

TOUT SUR LA MICRO-NOUVELLE ?

Au moment où commence la troisième saison de notre rubrique intitulée la « micro-nouvelle du mois » ou « 100 mots pour le dire » et où la « meilleure micro-nouvelle 2014 » vient d’être distinguée, nous voulons prendre le temps d’une petite réflexion sur cet engouement pour ces « petits textes brefs en prose » qui apportent autant de plaisir aux auteurs qu’aux lecteurs.
Car tout au long de l’année, pas un jour ou presque sans qu’une micro-nouvelle n’arrive dans notre boîte. Dans cette lecture quotidienne, ce qui frappe d’emblée, c’est la grande liberté et l’extrême diversité de tons, de registres, de styles : on passe d’un dialogue à une lettre, du fantastique à l’absurde, de la science-fiction au polar, de l’aphorisme au poème en prose…
Nous ferons l’économie d’un discours théorique sur les différentes définitions et autres appellations… sinon en rappelant que proche de la « micro-fiction » ou de la « short short story » selon la dénomination anglo-saxonne, elle désigne un texte caractérisé par une brièveté extrême, mais dont la longueur peut cependant varier entre quelques mots et 1000 mots maximum !

 
Ce qui pourrait apparaître comme un nouveau genre est attesté depuis quelques années par des publications : les 500 Microfictions de Régis Jauffret (2007, Gallimard)  ainsi que Cent onze micronouvelles (éd. Le Grand fleuve, 2007) autour de Laurent Berthiaume et du collectif Oxymoron ou plus récemment les 50 Élucidations d’Alexis Jenni (2014, Gallimard). Parallèlement, la micro-nouvelle s'est sans doute développée avec l'arrivée d'Internet, média favorisant les textes courts et concis et avec l’habitude de « twitter » en 140 caractères (lire par exemple le recueil de Bernard Pivot Les tweets sont des chats ! (2013, Albin, Michel).
 
 

Pourtant l’art du bref n’est pas nouveau ! Sa pratique, selon les époques et les codes, a connu  sous des formes, des fonctions (de narration, de description, d’information, de réflexion…) et des appellations différentes une présence constante depuis l’Antiquité ! Souvenons-nous des anecdotes, des histoires, des fables du monde grec !

 Ainsi pour mémoire Le loup et le chien tiré des Fables d'Esope (vers 420 av. J.-C.)
 
"Un loup voyant un très gros chien attaché par un collier lui demanda : « Qui t’a lié et nourri de la sorte ? — Un chasseur, » répondit le chien. « Ah ! Dieu garde de cela le loup qui m’est cher ! Autant la faim qu’un collier pesant. »
Cette fable montre que dans le malheur on n’a même pas les plaisirs du ventre."

Souvenons-nous aussi des poèmes en prose qui ont fleuri au XIXe siècle, comme ce modèle de perfection qu’est « L’étranger » de Charles Baudelaire dans Petits poèmes en prose » (1869)

"Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ? - Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L'or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh ! Qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !"
N’oublions pas, au seuil du XXe siècle, les Nouvelles en trois lignes publiées dans les journaux à partir de 1906 par Félix Fénéon qui transforme alors les « faits divers » en véritables « haikus journalistiques ».
 
"C'est au cochonnet que l'apoplexie a terrassé
M. André, 75 ans, de Levallois.
Sa boule roulait encore qu'il n'était déjà plus."
 
Puis – légende ou réalité ? – l’apport d’un autre écrivain journaliste en la personne d’Ernest Hemingway (1899-1961) signe le véritable bulletin de naissance de la micro-nouvelle. D’abord en lui donnant un cadre précis : elle doit pouvoir être écrite « au dos d’une boîte d’allumettes » et ensuite en l’illustrant de superbe manière avec un texte de six mots qui deviendra célèbre :
 
"For sale : baby shoes, never worn"
("À vendre : chaussures de bébé, jamais portées").
 
Finalement, 6 mots, 3 lignes, 140 caractères, 100 mots ou plus… peu importe. Peu importe aussi l’appellation selon les pays et les langues (dans les littératures anglo-saxonnes, francophones, hispanophones…). Ce qui compte, c’est la grande vivacité de cette pratique aujourd’hui. Nous n’en donnerons que quelques preuves – sans souci d’exhaustivité – avec le Prix Pépin qui récompense depuis 2008 un texte de science fiction de 300 signes maximum (titre inclus) ou avec quelques publications récentes des recueils originaux : Isabelle Sojfer  Cent quinze romans-fleuves (Les Petits matins, 2007), Luc-Michel Fouassier Histoires Jivaro (Quadrature, 2008), Jean-Jacques Nuel Courts métrages (Pont au Change, 2013)… et bien d’autres encore (arrêtons là notre liste par souci de concision, qualité première requise à tout amateur de micro-nouvelles !)
 
 

 Alors lisez, écrivez des micro-nouvelles et poursuivez l’aventure en nous adressant vos « 100 mots pour le dire » !
 

LA MEILLEURE MICRO-NOUVELLE DE L'ANNEE 2014

Les membres permanents du comité de lecture de la revue Harfang ont voté pour élire la "meilleure micro-nouvelle" parmi les12 sélectionnées et publiées sur notre blog au cours de l'année 2014.
Voici donc le résultat :

1 Francis BOQUEL pour "Fin de soirée"  (Janvier 2014)
2 Jacques COURTIN pour "La ronde des mots passés" (Septembre 2014')

Le gagnant recevra un abonnement d'un an à la revue Harfang et son texte sera publié (ainsi que celui arrivé en seconde position) dans le N° 46 de la revue  (à paraître au printemps)

C'est le moment de remercier tous ceux qui nous ont adressé des textes tout au long de l'année... Merci pour leur persévérance et leur patience... car il  y a beaucoup de refusés et peu d'élus (12 par an... mais c'est la règle du jeu)
Alors quelques conseils :
- continuez à nous adresser vos micro-nouvelles (en 100 mots maximum)
- récidivez dans les mois suivants en cas de refus...
- ... par contre, si votre texte est retenu comme "micro-nouvelle du mois", merci d'attendre l'année suivante pour nous adresser un nouveau texte.